EN MAL DE LANGUE

Mme Mô Frumholz

Docteur en Sciences du Langage

Thérapeute voix-parole

"EN MAL DE LANGUE "

 

 

 

Mise en bouche:

 

Mets ta langue (métalangue) à toutes les sauces !

 

Petite comptine en coups de langue :

 

 

Voyons maintenant les ingrédients

 

Ingrédient :

Langue, mot d’origine latine (lingua),

 

Passons aux Amuse-gueule

 

Amuse-gueule n°1 :

@ Langue « organe charnu, musculeux (je précise 17 muscles)

 

Amuse-gueule n°2 :

@ Langue : cet organe est considéré en tant qu’organe de la parole chez l’homme

.

En plus d’articuler les sons, on peut faire toutes sortes d’actions avec cet organe …

Je m’arrête un instant sur l’expression qui figure dans le titre général  de cette rencontre «La langue, toutes les questions que vous avez sur le bout de la langue ».

 

Amuse-gueule n°3 :

@ Langue : système d’expression du mental et de communication, ensemble des structures et des fonctions linguistiques commun à un groupe social humain…bref ce dont je me sers pour vous parler.

 

Il résulte de tout cela, et j’espère avoir pu vous en faire la démonstration de vive voix,  que pour parler de la langue, il faut d’abord l’avoir bien pendue !

 

Entrées gourmandes  

 

Plus sérieusement, maintenant et à partir de cette mise en bouche ludique, je voudrais partager avec vous un certain nombre de réflexions que j’ai tiré de ma triple expérience de linguiste, de thérapeute et d’artiste lyrique.

 

Première entrée : D’une langue à l’autre

 

Comme je l’ai dit précédemment, le mot langue vient du latin lingua, terme qui a deux acceptions, organe situé dans la bouche d’une part et système d’expression commun à un groupe d’autre part.

Ce n’est pas une spécificité française loin de là. Le mot « langue » a dans la plupart des cultures cette double valeur, « glôssa » en grec, « lâchôn » en hébreux,  « tongue » en anglais et même en chinois : l’organe langue se dit « shé » et on retrouve le caractère écrit de ce terme dans celui du verbe « yàn » qui signifie « parler »).

Cette double valeur du terme permet la double phraséologie (études des expressions lexicalisées comme les expressions idiomatiques) dont je vous ai donné un aperçu en introduction. Il existe toutefois quelques exceptions : en allemand et en anglais par exemple deux termes différents coexistent pour désigner l’organe d’une part et le système linguistique de l’autre sans pour autant que soit mis en péril le rôle symbolique que joue l’organe langue dans la parole.

Que la langue-organe soit prise dans de nombreuses cultures comme symbole de l’activité parlante permet de comprendre pourquoi il est si difficile pour les entendants de dissocier sens et son et pourquoi il a fallu des lustres pour obtenir la reconnaissance des langues des signes comme systèmes linguistiques à part entière.

 

 

                Seconde entrée : La langue, entre corps et langage

 

Je vous rappelle qu’à l’origine la sphère buccale n’est pas du tout sphère de parole, elle le devient sous l’effet d’une acculturation durement acquise et qui se fait au prix d’une perte. Lacan a développé ce concept à propos de l’objet voix.

L’appareil vocal et son prolongement l’appareil buccal (langue, voile du palais, nez, lèvres) ne sont donc pas des appareils spécifiques dédiés à la production de sons. La phonation, la réalisation de la parole résultent d’une adaptation fonctionnelle secondaire. Elles utilisent des structures qui en soi n’ont rien de particulièrement orientées vers la fonction phonatoire et articulatoire.

Au départ en effet, il n’est question pour le fœtus, puis le nourrisson que de survie animale puis le travail de manducation renforcera la pousse de l’os de la mâchoire et facilitera la migration de la langue en position haute. Parallèlement les interactions verbales entre parents et enfant, présentes dès la naissance (voir avant), et les jeux langagiers pratiqués par le tout petit affineront les mouvements de la langue lui permettant de réaliser tous les sons existant dans toutes les langues du monde. D’attente passive - la langue en position basse et projetée en avant dans l’espérance d’un nourrissage- de simple bouche à nourrir, l’espace buccal devient, sous l’effet des interactions précoces, le lieu du dire.

 

On le voit bien, l’organe-langue au même titre que la voix qu’il va contribuer à articuler est le siège corporel de la parole.

La langue est liée non seulement avec le corps et les toutes premières expériences sensorielles (goût,  succion…) mais aussi

avec l’affectif, (les relations avec la mère et plus largement  les parents, via le motherese),

le plaisir (jeux vocaux des babils, babillages, lallations et autres jargonneries)

et le symbolique (la prise en charge par cet organe des signifiants, matière sonore dont sont constituées les langues acoustiques et plus spécifiquement les signifiants hérités de cette langue de l’autre qui est transmise par les parents et derrière laquelle elle (la langue-organe)  va bientôt disparaître, comme si elle voulait se faire oublier, parce qu’appartenant au domaine de l’intime, de ce que l’on n’exhibe pas en public).

 

Car en effet, tout comme la voix, la langue disparaît sous l’écran du sens, cachée dans la cavité buccale et aussi derrière le discours qu’elle supporte : pas plus que vous n’entendez ma voix, vous ne voyez ma langue.

 

Plat de résistance (dans les deux sens du terme, culinaire pour poursuivre la métaphore culinaire et dans celui de résister à quelque chose)

 

Déglutition atypique

 

Ainsi on pourrait dire en paraphrasant J-M Vives dans Les plis de la voix, que quand la langue dysfonctionne comme organe phonatoire, c’est comme zone érogène qu’elle surfonctionne. C’est bien ce qui se passe dans les cas de déglutition atypiques,  de sigmatisme, de schlintement, et autres déplacements et/ou non acquisition de phonèmes que les orthophonistes qualifient de  troubles de l’articulation et de retard de parole.

Troubles de l’articulation , retard de parole ou difficultés à consentir à perdre l’organe langue au profit d’une réalisation mieux maîtrisée de son idiome ? Troubles de l’articulation, retard de parole ou absence de désir de se prendre en charge, de grandir ? Vous me direz, le résultat est le même, mais peut-être pas l’approche, peut-être pas la démarche thérapeutique.

 

La langue-organe réapparaît évidemment à chaque fois que le geste de déglutition est resté celui de la toute petite enfance, de l’époque du babil, des lallations, où avant d’être le vecteur du langage articulé, elle n’était que partie du corps dont il était possible de jouir pleinement et sans entrave.

 

Alors si la langue est à la fois, pour l’entendant du moins, corps et support du sens, comment penser, comment aborder une prise en charge ?

Vouloir redresser le geste lingual est-il possible, souhaitable, pertinent ? Et si oui quel est le moment le plus opportun pour le faire ?

Je pose là déjà beaucoup trop de questions auxquelles d’ailleurs il ne m’est jamais possible de répondre dans la mesure où les patients me sont adressés dûment appareillés depuis au moins un an et le plus souvent deux ou trois ans. Certains orthodontistes ne les adressent même qu’en toute fin de traitement, quinze jours avant le dé bagage.

 

                Un mot d’ordre : Langue au palais !

 

La réponse de l’orthodontie est donc l’appareillage, la solution serait elle dans les prothèses ?

 

Vous l’aurez compris après tout ce qui a été exposé, ce qui va être demandé au patient est bien plus que l’acquisition d’un geste qu’il suffirait de décrire et de montrer une fois et qui pourrait s’acquérir en deux ou trois séances maximum.

 

Certains patients acceptent de jouer le jeu d’un suivi mais il y a très peu d’élus et par le fait très peu de réussite car ce retour sur soi n’est pas simple et se conjugue mal avec l’exigence de résultats rapides. C’est un travail long et difficile pour la plupart des patients qui n’en voient bien souvent pas l’intérêt et qui ne sont guère payés en retour lorsque leur mâchoire déjà suturée au début du traitement orthodontique est demeurée trop étroite et ne permet de toute façon pas à la langue de rester en position haute.

 

Alors ni fromage, ni dessert